Mise en scène enlevée pour une pièce inoxydable

 Evelyne Rambeaux, qui a eu deux saisons de reports Covid pour plancher sur la richesse du texte et en tirer avec les comédiens un maximum de développements scéniques, nous livre en quelques questions-réponses le fruit de ses réflexions

1.     Farce ou attrape ?
(Rire.) Attrape ! Sans hésitation. Sans spoiler le dénouement à ceux -  s’il s’en trouve encore - qui ne le connaissent pas, on peut dire que plus d’un personnage se fait avoir en beauté dans cette pièce. Le public aura plaisir à découvrir que "L’amour-propre qui pousse à se tromper soi-même" est un piège dans lequel Orgon n’est pas le seul à tomber... Que cet aveuglement – ce déni universel et inchangé – engendre des comportements absurdes, excessifs, ridicules, dangereux... C’est une bonne piqûre de rappel. 
2.     Comédie ou tragédie ?
On est dans une tragi-comédie brillamment dosée. Chaque metteur en scène place le curseur où il veut, ça fonctionne toujours. Nous, nous mettrons en relief une progression sensible du plus léger au plus sombre : le personnage de Tartuffe qui n’est au départ qu’une présence importune, un vulgaire imposteur, pique-assiette et emmerdeur dont on croit pouvoir facilement se débarrasser, se révèle un redoutable adversaire qui monte en puissance d’acte en acte. Cela dit, l’aveuglement d’Orgon et l’habileté, le culot de Tartuffe sont tellement stupéfiants qu’ils peuvent toujours donner matière à rire. Au pire, ça nous laisse pantos. C’est aussi cette palette de jeu infinie qui rend cette pièce inoxydable. 
3.     Raison ou action ?
Là encore, Molière a habilement équilibré les deux. La pièce est riche en situations, suspens, retournements spectaculaires ; il y a de quoi tenir le public en haleine jusqu’à l’épilogue. Mais elle aborde plus d’une thématique, toujours assez universelles pour demeurer intemporelles ; je ne doute pas que le public y trouvera spontanément un écho avec des faits actuels... De quoi s’extasier encore un bon moment après, en se retrouvant au bar, par exemple. 
4.     Classique : dépoussiérer ou...
L
’expression dépoussiérer un classique me gêne toujours. Comme s’il avait besoin d’être nettoyé, relooké, pour être plus digeste aujourd’hui. Que ces chef-d’œuvres nous survivent prouve qu’ils n’ont pas besoin de notre aide pour traverser les modes et les époques... C’est plutôt notre prisme qui change ; et nous qui les appréhendons comme si nous redécouvrions l’Amérique, toujours stupéfaits de constater que la nature humaine, elle, ne change pas. Personnellement, je fais partie de ceux qui estiment que pour valoriser le fond du propos, il faut éviter de le noyer sous des effets formels arbitraires. Raconter cette histoire en tâchant de ne rien omettre des subtilités que l’auteur y a glissées, c’est mettre déjà la barre assez haut. Notre boussole est dans les indices que l’auteur a laissés dans le texte. Et je trouve intéressant de laisser au public le plaisir d’observer pas à pas, avec le même effarement que toute la maisonnée, comment n’importe qui peut se laisser engluer dans une relation d’emprise. Mon ambition est que chaque spectateur, témoin, comme chaque personnage, des conséquences dramatiques qu’entraîne l’aveuglement d’Orgon, se surprenne à se sentir investi au même degré qu’eux du désir urgent de le voir ouvrir les yeux.
5.     Prose ou vers?
Les vers du Tartuffe sont pour moi parmi les plus beaux du répertoire – et particulièrement les vers DE Tartuffe. Ils sont... « d’une suavité qu’on ne goûta jamais ». D’une finesse et d’une musicalité envoûtante. Si nous travaillons honnêtement à rendre, comme un musicien travaille sa partition, la beauté de cette écriture, le plaisir que nous en retirerons tous, nous et le public, n’en sera que décuplé. 
6.     Distribution : voir grand ou petit ? 
Une grande distribution est un agréable challenge. Nous avons de nouveaux venus dans l’équipe, c’est toujours vivifiant. Je crois que nous sommes tous impatients de nous lancer enfin dans ce projet. On s’en promet beaucoup de joies et d’échanges nourris. 
7.    Jouer au château : sur du velours ou des graviers ? 
Investir la Salle des Gardes du château de Modave pour y donner Le Tartuffe est une chance inouïe. Un décor et une atmosphère rares. Évidemment, il y aura quelques contraintes : au niveau éclairages, nous serons techniquement limités ; le lieu ne souffre pas la présence d’un gradin, et l’acoustique n’est pas celle d’un théâtre... Mais nous nous adapterons, sachant d’expérience que souvent de la nécessité viennent les idées. Et je suis sûre que le public appréciera ce dispositif inédit au château et idéal pour ce spectacle.
8.     400 ans.... c'est long, c'est court?
Il y a 400 ans naissait Molière :  On va être nombreux à peser cette réalité. Au moment où j’écris, nous sommes exactement à J-5 de la date estimée (14 ou 15 janvier 1622), je me demande ce que dira tel ou tel sur France Culture ou au JT. Je ne serai pas étonnée que nous ressentions tous un sentiment étrange et partagé : 1622, ça semble loin à le voir écrit ; mais bizarrement, ça semble hier, dans mon ressenti. Molière nous reste si proche. 
© Bettina Delmeule et Victor Rambeaux

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