Tartuffe prend ses quartiers au château de Modave - Catherine Makereel, Le Soir, 10 juillet 2022

 

Tartuffe prend ses quartiers au château de Modave

La Cie Lazzi déploie un soyeux théâtre de tréteaux en pays mosan avec un Molière qui trouve un écrin parfaitement naturel dans la demeure des comtes de Marchin. Dans la salle des gardes, Orgon se fait détrousser par un faux dévot et vrai chaud lapin.

 Critique - Par Catherine Makereel

 

Publié le 10/07/2022 à 15:48 Temps de lecture: 3 m


Il y eut des versions clinquantes et d’autres, extrêmement épurées. Des Tartuffe attifés en homme d’affaires ou transposés dans une Algérie en proie à l’intégrisme islamiste. Des farces grotesques ou des partis pris sulfureux, portés sur la violence et l’érotisme. Bref, la comédie en cinq actes et en vers de Molière en a vu de toutes les couleurs. Au château de Modave cet été, alors que l’on célèbre cette année les 400 ans de la naissance du grand Poquelin, la Cie Lazzi s’en remet tout simplement à la magie du théâtre de tréteaux. Attention, pas des tréteaux de foire, en bois rudimentaire, mais des tréteaux plutôt cossus puisque le public s’installe dans la salle des gardes de l’élégante demeure entourée de jardins somptueux.

Un écrin idoine pour y découvrir le chef-d’œuvre de Molière puisque l’histoire du château de Modave est intimement liée à celle de Versailles, là même où résidait un Louis XIV qui décida, au lendemain de la première représentation du Tartuffe en 1664, de le censurer. En une nuit, Molière passa du statut d’artiste favori du Roi-Soleil à celui d’homme menacé de mort par l’Église. La cour adore – il se dit même que le Roi a ri – mais face à une montée du jansénisme, mouvement religieux qu’il entend combattre avec l’appui de l’Église, le roi, garant de l’orthodoxie catholique, ne peut autoriser une telle satire des dévots et autres directeurs de conscience.

Hypocrite maître à penser

Si Tartuffe (réécrit en 1669) ne résonne plus dans le même contexte aujourd’hui, il n’en conserve pas moins une fine et cocasse étude de caractères, portée par une intrigue à rebondissements. Orgon, riche bourgeois, et sa mère, Madame Pernelle, vouent une véritable dévotion à Tartuffe, qu’ils recueillent chez eux pour en faire leur guide spirituel. Sourd aux avertissements de sa famille, qui voit clair dans le jeu du dévot, homme en réalité cupide et coureur de jupons, Orgon ira jusqu’à sacrifier sa fille et se laisser dépouiller de ses biens, sous l’emprise de cet hypocrite maître à penser. Dans la mise en scène enlevée d’Evelyne Rambeaux, ce Tartuffe se déploie entre classicisme et légèreté. En costumes d’époque, les douze comédiens émergent de la cour du château ou se sauvent par les salons alentours, à un rythme qui ne faiblit jamais (mise à part le rôle de Mme Pernelle remplacé au pied levé, pour cause de comédienne blessée, par une Véronique Guérin qui doit encore s’approprier son texte).

Dans la peau du Tartuffe, Thomas Linckx offre une composition truculente, entre perversité diabolique et ridicule assumé. Face à lui, Stéphane Stubbé incarne un Orgon burlesque, maître de maison aveuglé par son égoïsme borné. En Elmire, épouse d’Orgon convoitée par l’Imposteur, Evelyne Rambeaux impose une force à la fois tranquille et implacable : c’est elle finalement qui fera chuter le filou. Delphine Roy promène elle aussi une présence féminine impérieuse en Dorine tirant habilement les fils de cet imbroglio familial. Ingénue (Tiphanie Lefrançois dans le rôle de la fille d’Orgon), impulsifs et sautillants (Cyril Collet et Antoine Minne dans les rôles de gendre et de fils) ou solennel (Cédric Juliens en frère d’Orgon), le reste de la distribution sert avec conviction une langue délicieuse, musicale, goûteuse, qui nous rappelle, in fine, de toujours se méfier des apparences.

 

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